Récit de notre Monsieur Joëlette : Eric
Il était une fois Natacha, jeune
fille de 14 ans belle, intelligente et myopathe. Elle est prisonnière de son
petit corps qui se recroqueville chaque jour un peu plus. Ces mains sont deux
petites serres qui s’accrochent avec une volonté farouche à son fauteuil car
son esprit est, au contraire de son corps qui la trahit, d’une force peu
commune. Elle est persuadée qu’un jour un traitement lui permettra de guérir.
En attendant, elle attend et voyage par internet interposé hors des quatre murs
de sa maison. Un jour, alors que son père et moi courons comme souvent en
silence, c’est un homme de peu de mots, il me lâche une phrase
dithyrambique ; « mon rêve c’est de pouvoir courir un jour avec ma
fille » Voilà ça c’est dit ! je prends ça en pleine poire et ne sais
pas quoi répondre à part une stupide banalité du genre : « bah oui ce
serait formidable »
Quelque temps plus tard, un
reportage sur France 3 me permet d’être un peu plus prolixe. Il s’agit d’un
père dont le fils Joël est handicapé moteur qui a inventé une chaise à porteur
avec une roue centrale, la joëlette, pour pouvoir emmener son fils faire de la
randonnée…
J’appelle Marco, le père de Natacha,
lui raconte, on appelle Monsieur Joëlette et quelques mois plus tard on reçoit
notre première joëlette. On court avec Natacha partout dans les rues, dans les
bois, les gens intrigués nous prennent pour des dingos. Natacha s’éclate, elle
crie, chante, nous demande d’aller encore et toujours plus vite, plus loin.
Nous sommes en 2002, GRAND LARGE est
né car on ne peut pas garder ce nouveau et magnifique concept pour nous tout
seul. D’autant que la joëlette fait des émules, dans le 92 une autre
association du même style voit le jour également. Rapidement on participe à des
compétitions sur route. Natacha court le semi de Paris puis le marathon de
Paris, de Vannes. On va remonter la vallée du Nil en se greffant à une course à
étapes de 5 jours avec des athlètes de haut niveau. Natacha est ravie, elle
exulte et nous, nous sommes fiers comme Artaban. Puis viennent d’autre courses,
en Corse, en Thaïlande, au Laos, au Vietnam avec Natacha puis d’autres jeunes
handis avec qui nous partageons des moments de bonheur intenses. Le championnat
du monde de joëlette se crée et GRAND LARGE arrive à aligner une année 5
joëlettes parmi la cinquantaine provenant de plusieurs pays…
Il était une fois Gwenaëlle, sa
maman nous prévient ; « ne vous inquiétez pas, Gwenaëlle ne
communique pas mais moi je sais qu’elle est contente et qu’elle aime beaucoup
faire de la joëlette. » Puis lors d’une course à Achères un beau jour ensoleillé
de mai, nous passons la ligne d’arrivée avec une Gwenaëlle qui lève les pouces en
souriant. C’est juste incroyable, sa mère pleure, Monsieur le maire nous fait
monter sur le podium et là encore Gwenaëlle redresse à nouveau ses pouces,
c’est la totale, monsieur le maire ne sait plus quoi dire, un silence
assourdissant passe puis tout le monde applaudit à tout rompre tandis que toute
l’équipe et les gens autour essaient de cacher des larmes derrière leur
lunettes de soleil, mon petit cœur explose houlàlà c’est trop fort…
Il était une fois Philippe, autiste
mais qui était tellement excité lorsque nous n’allions pas assez vite pour lui
en joëlette, qu’il essayait de descendre pour nous aider à pousser. Parfois les
ailes des anges sont trop à l’étroit repliées derrière le dos, alors elles
s’ouvrent et l’ange s’envole… ailleurs…
Il était une fois Victor, lui c’est
le plus jeune et peut-être le plus touchant tellement sa joie est
communicative. Jamais fatigué, pourtant les courses en joëlettes ne sont pas
juste passives pour les jeunes handis mais Victor n’est jamais rassasié, il est
toujours partant, c’est le petit moteur de GRAND LARGE, tant que la ligne
d’arrivée n’est pas franchie il nous pousse à toujours aller au bout de nous
même…
Il était une fois Ewen et Enzo à Plaintel, le dimanche
11/11/2018. Le village natal de Maurice organise un trail Breton, c’est-à-dire
qu’il fait beau plusieurs fois par course…
Depuis plusieurs années, Maurice se débrouille pour faire
venir plusieurs coureurs de l’US participer à cet événement au profit de
l’association Camille & Lucas qui lutte en faveur de la recherche contre
les maladies génétiques rares. Et depuis deux ans l’US aligne une équipe pour
emmener 2 jeunes handis de Plaintel en joëlette sur le parcours de 12km. Bien
allez GOGOGO Maurice on y va cette année encore donc…
J’avoue que je suis un peu fébrile et c’est un
euphémisme, je n’ai pas dormi de la nuit, car même si je connais la valeur des
guerriers-coureurs qui m’accompagnent, nous ne sommes que 5 à se relayer sur un
terrain gras et accidenté et 2 sur les 5 sont novices sur la conduite de
l’engin qui pèse quelques 20kg.
Mes doutes seront rapidement dissipés. C’est un vrai
plaisir partagé par tous de s’aligner au départ à 10h00 sous un temps plutôt
clément pour la saison. Lionel, Marc, Cyril, Jean-Luc et moi-même sommes
heureux d’accueillir Ewen que nous allons emmener sur les 6 premiers km pour
qu’ensuite, au ravitaillement, Enzo prenne le relais d’Ewen… Anne, Sophie et
Maurice vont faire les serres files avec Brio (ne me demandez pas si c’est le
nom du vrai serre file svp)
Nous partons 2’ avant le départ réel de la course ce qui
donne l’occasion au flot de coureurs, qui a tôt fait de nous dépasser, de nous
encourager de belle façon pour le plus grand plaisir d’Ewen mais aussi des 5
autres.
Ewen découvre la joëlette et avec une timidité touchante
nous dira au ravito qu’il a beaucoup aimé même s’il est très fatigué. Il faut
savoir que toutes les personnes qui font de la joëlette sont à chaque fois au
moins aussi fatiguées que les coureurs qui les accompagnent. Enzo quant à lui à
déjà participé avec nous l’année dernière et il s’exprime de façon plutôt
véhémente, il nous flatte l’encolure comme un jockey ferait avec sa monture à
grands coups de ALLEZ ALLEZ. Bon peut-être que le fait que Marc hennisse de
façon très réaliste y est aussi pour quelque chose…
La seconde partie pourtant plus roulante nous obligera à
s’arrêter plusieurs fois pour réparation du cale pied que la tonicité D’Enzo et
les différents aléas du terrain auront mis à mal.
Le final se fait juste au moment même où
une énorme averse tente de nous rattraper mais voilà : ça c’est fait et bien fait, nous sommes tous
heureux radieux contents fiers…
Le podium sera l’occasion pour Maurice
d’y aller de son petit discours non sans que ses yeux soient légèrement embués
et sa voix quelque peu voilée, par une poussière sans doute.
Je vous joins une photo très
représentative (ou presque) de notre week-end. Bizàtous,
Eric.