J5 : Cozzano – Conca
On
s’habille, je m’applique 3 couches de strap sur les malléoles et je rechausse
mes Salomon (le terrain sera plus minéral aujourd’hui et il faudrait donc
évoluer sur de la pierre et du rocher). Je rentre mes pieds difficilement puis
me dirige vers le petit déjeuner.
10
mètres plus loin, demi-tour : j’ai trop mal ! La douleur émane de
l’ensemble du pied, dessous, dessus, à l’intérieur… Insupportable. Je décide de
remettre mes Asics en espérant que ça aille mieux. J’ai eu autant de mal et mis
autant de temps à me déchausser qu’à sortir du lit. L’essentiel est que je me
sens beaucoup mieux et plus à l’aise dans mes Asics même si je sais que je
prends un risque car elles n’adhèrent pas aussi bien sur les pierres et que mes
chevilles se dérobent plus facilement.
5h50 :
c’est parti, nous avons une longue ascension avant de rejoindre le GR (10km de
côte dont les 2ers à plus de 20%). On voit tout de suite la différence entre un
GR emprunté tous les jours par des centaines de randonneurs et la variante que
nous devons prendre : un balisage presque transparent ou caché par la
flore, un sentier laissé à l’abandon avec des ronces, des branches, des troncs
qui nous oblige à une évolution très, très lente. C’est réellement la jungle
sur les 1ers hectomètres !
Enfin,
un vrai sentier en sous-bois. Malgré le pourcentage nous posons nos pieds sur
quelques centimètres de feuilles, il fait frais et c’est tout l’odeur des bois
qui remplit nos poumons. C’est extrêmement agréable. Même si je n’y suis jamais
allé, cela me fait très pensé à la forêt de Brocéliande (que je m’imagine au
travers des lectures du soir des petits…). Seul bémol : les toiles
d’araignées qui tapissent notre visage…
Au bout
d’1h30, on ne constate plus de marquage et on fait demi-tour. On le retrouve
alors qu’on se situe à une bifurcation avec 2 balisages différents : celui
qu’on suit se dirige vers notre point de départ et un nouveau qui mène je ne
sais où. Bon.
Pendant
que Ben étudie la carte, je m’aventure plus loin en espérant trouver une trace,
un panneau… Rien ! Je fais bien 3km aller-retour et Ben décide de refaire
demi-tour en s’orientant davantage avec un cap. On discute, on tergiverse, je
ne le sens pas très serein…
Après
30’ de gros jardinage, et quelques km plus loin on évolue sur un sentier balisé
pour un trail, qui ressemble à notre tracé et un peu plus loin un panneau nous
indique le chemin à suivre pour rejoindre le GR20. Ouf !
C’est
le soulagement lorsqu’on visualise le marquage rouge et blanc et que nous
sommes enfin et réellement sur le GR ! Ben retrouve son sang-froid et son
calme. Il n’est vraiment pas mauvais en orientation et lecture de carte !
Non, il est bon !
Il faut
vraiment que je m’améliore là-dessus et que j’arrête de trop de me reposer sur
lui. Il faut avouer qu’on n’a pas été bon sur ce début de parcours, on aurait
dû étudier davantage la carto au lieu de partir la fleur au fusil !
Le
paysage est top : c’est « plat », roulant, on traverse ou longe
quelques rivières, personne ou presque, c’est bien exposé au soleil mais il ne
fait pas trop chaud.
On
arrive au refuge de Maltaza vers 9h. Je demande au gardien (un jeune à peine
majeur qui en est à sa 3ème canette de coca) un coca et une Orezza
mais faute d’Orezza il me propose de la bière : Pietra, demi ou pression, Heineken,
Kronenbourg. Tout d’abord c’est trop tôt, puis vu notre tenue comment il peut
me poser la question ??!!!
Ben
fait un peu de relationnel et le questionne :
- « Y’en a du
monde qui est parti ? »
- Lui « ça
va… »
- Ben « il faut
combien de temps pour la prochaine ascension ? Il y a beaucoup de
pierres ? »
- Lui « Vous
êtes plutôt léger, ça devrait le faire, il y a 3km ». Puis il nous
indique le tracé à l’aide de son doigt et nous montre également le 2ème
sommet le plus haut de Corse, le mont Incudine (le plus haut de la Corse du
sud)
- Ben « Il faut
combien de temps pour faire cette variante ? »
- Lui « Ché pas, 1h30 »
- Ben « OK merci
et après le col, la descente est roulante ou c’est que du rocher ? »
- Lui « Ché pas,
je ne suis jamais allé après le sommet »
OK,
super dialogue ! Avec l’accent corse et sa nonchalance, c’est encore plus
flippant. Un gardien de refuge qui n’est jamais allé plus loin que 3km de sa
cabane…
On
repart et c’est un large sentier en faux plat que nous arpentons.
On
court, on discute, on se paume ! Plus de marquage… Pfffff… Néanmoins on
voit le sommet à franchir, on trace et c’est bon ! Toujours est-il qu’on a
fait un bon détour…
La fin
de l’ascension est assez technique, dur, je ne suis pas au top (normal on est à
2 000m d’altitude). A un moment j’hallucine : on double un couple de
randonneurs dont le jeune homme tient une tente de camping à bout de bras en
plus de son énorme sac à dos ! Je ne peux m’empêcher de l’interroger. Il
me répond que c’est une tente 3 places, qui pèse 3.5kg mais qu’ils ne font que
le sud du GR20 en 7 étapes. Ça fait 5j qui la porte comme ça…
Au
sommet ceux sont les Aiguilles de Bavella qui s’offrent à nous !
On
décide de ne pas faire le mont Incudine, faute d’information très précise et
très fiable mais aussi la journée est suffisamment longue et nous avons
rendez-vous avec nos 3 compères pour une étape ensemble. Nous filons sur une
descente rocailleuse et rejoignons assez rapidement le refuge d’Asinau, posé en
équilibre sur le flanc de la montagne.
On se
pose au refuge et on assiste à un autre grand moment : 2 randonneurs
arrivent en vrac (l’un à une tendinite au genou et l’autre une bonne foulure à
la cheville), ils boitent et leur visage est bien marqué. Ils s’installent à
côté de nous et demande au gardien :
- L’un d’eux « bonjour,
on pourrait avoir une omelette vite fait, s’il vous plait »
- Le gardien « …Ouais ».
Il se lève, sort une cigarette de son paquet, l’allume et revient
s’assoir !
- L’un d’eux, au bout de 2’ (alors que le gardien fume
tranquillement) « J’y vais, j’en ai
marre, je veux finir au plus vite ». Il se lève et s’en va. L’autre le
rejoint puis revient.
- L’autre « finalement,
on part »
- Le gardien, tout en nous regardant et avec son accent local :
« Ils sont bizarres les
2 ! »
Je ne
sais pas ce qui est le plus bizarre mais il y en a qui se sont trompés de
profession…
Après
notre taboulé d’avalé et les bidons rechargés, on repart en direction du gros
effort de la journée à savoir l’ascension et la descente des Aiguilles de
Bavella (il s’agit de la variante alpine du GR20 qu’on fera avec nos 3 amis).
On rattrape les 2 randonneurs pour prendre des nouvelles et savoir s’ils ont
besoin de quelque chose. Ils sont au bout de leur vie et ne prennent plus aucun
plaisir. Ils sont frustrés de ne pouvoir faire les Aiguilles car la descente
est trop technique pour leur physique bien diminué et sont obligés de
contourner cette montagne (c’est plat mais beaucoup plus long).
On
retrouve nos 3 compères au milieu d’un cours d’eau, au bas de la montagne. On
se pose 5’.
C’est
reparti et on gravit littéralement un mur, c’est raide mais pas trop de pierre.
L’objectif est bien évidemment de le faire ensemble. Vavon prend les devants
(fière de sa belle prestation de la veille), Charly peu accoutumé à ce type
d’effort râle et peste, même s’il suit bien l’allure, alors que Dédé semble à
l’aise, très à l’aise voir trop à l’aise ! On se demande tous et on lui
demande s’il a bien pris son traitement…
Même si
notre allure a légèrement baissé, il est bon de partager ces moments d’effort,
ces paysages.
Au
sommet la vue est magnifique et typique de la Corse : des sommets
rocailleux dominent des flancs de montagnes verdoyantes sur un fond de mer qui
reflète et fond avec le ciel bleu azur.
La
descente est vraiment technique et il nous faut encore poser les mains et
prendre appuie. Je fais bien attention avec mes chaussures. Puis voilà le
passage très connu de cette étape : la fameuse main courante de 20m
permettant d’escaler une falaise. Impressionnant, on n’a pas le droit à
l’erreur.
Vavon
accuse le coup dans la descente, il n’a pas très bien récupéré de son escapade
d’hier en notre compagnie.
On
arrive au col de Bavella (de l’autre côté des Aiguilles) et c’est une sensation
bizarre qui nous traverse : on se sent agressé par tout un flot de
touristes errants (aux vêtements propres et qui sentent bon), ceux sont des
dizaines de cars et des centaines de voitures qui cherchent à se garer. Un aperçu
d’un dur retour à la réalité… Pas très sympa.
On se
pose 20’ à la terrasse d’un restaurant. Ça commence à être dur physiquement, de
moins en moins de jus, de moins en moins d’envie, d’autant plus qu’on est
entouré de vices : en face moi Vavon et Charly se changent tranquillement,
à droite une table où on sert de la bière, à gauche une serveuse prépare des
crêpes avec à côté un mur de pots de Nutella… Il faut qu’on se sauve vite, très
vite !
Encore
1 étape et demie à avaler, normalement roulante, on doit que descendre malgré 1
ou 2 « coup de cul à donner » mais plus rien de difficile
techniquement…
Le
parcours et le terrain se court facilement mais on doit forcer quelque peu pour
tenir une allure.
Même si
l’envie et la motivation ne sont plus trop là, on positive en se disant que
c’est la dernière journée, qu’il faut en profiter au maximum et qu’on a bien de
la chance !
Dernier
refuge, I Paliri, on s’arrête vite fait juste avant le refuge pour recharger en
eau. Il y a une dizaine de randonneurs, en slip, faisant la queue pour se
« laver » à une pauvre source dont le débit est au goutte à goutte.
Ils se lavent avec un doigt ! Sympa, ils nous laissent recharger…
Après
un coca, une Orezza, un paquet de chips et une Pom’potte pris au milieu d’une
partie de belotte, on repart… C’est dur, l’ambiance est top : tout le
monde est zen, fait connaissance, échange ! Et nous on n’a toujours pas rattrapé
nos Lyonnais. On apprendra qu’ils se sont levés 3h du matin pour voir le lever
du soleil au sommet des Aiguilles de Bavella… Ils sont fous !
A la
sortie du refuge, le moral en prend un coup, pour être au plus bas, à lecture
d’un panneau. J’ai beau savoir qu’il reste 12km et 1 000D-, ça fait mal.
5h,
indication et estimation pour des randonneurs. On espère mettre entre 2h30 et
3h max (on mettra 2h58…).
On
évolue davantage sur un sentier sablonneux, avec de longues lignes droites, à
flanc de montagne. C’est sympa mais on est dans le dur : les jambes sont
lourdes, on a mal aux pieds, il nous faut aller chercher loin la force de
courir, de trottiner. Nos échanges se limitent à : « t’as vu un
marquage ? » « Vas à gauche, je regarde à droite ». On ne
prend guère de photo. Pour la 2ème fois on ne se parle pas pendant
plus de 2h.
On arrive
enfin à la porte sud du GR20, passage taillé dans la roche qui se veut être la
fin officieuse du GR.
Plus
que quelques kilomètres… Alors que nous
évoluons cahin-caha dans la dernière descente jonchée de pierres nous entendons
un gros cri de victoire ! J’aime à penser qu’ils s’agissent des Lyonnais.
10’ plus tard, du bitume ! 2km de route pour traverser Conca et Ben aime à
râler, à pester que ça ne sert à rien, qu’ils auraient dû terminer le GR à la
sortie du bois !
20h30, nos
3 compères nous retrouvent à 500m du panneau officielle (ils sont beaucoup
plus frais et souriants que toute à l’heure au col de Bavella) !
Après
une journée longue de 53km, 2 800D+ et 14h30 (dont 1h16 de pause) :
Ayééééééé….
Les
émotions divergent et ont du mal à sortir si ce n’est que c’est la fin
d’un projet, d’un objectif, d’une aventure que je ne veux pas voire se conclure
et Ben est davantage « soulagé » de n’avoir plus à souffrir des
pieds.
Les
Lyonnais nous attendent dans leur refuge pour une bière, non 2. OK finalement
3 ! On refait vite fait la semaine. C’est marrant de partager avec un
groupe qui est parti le dimanche matin juste 5’ après nous, qu’on a croisé tous
les jours et qui ont fini 10’ avant nous.
C’est
ce qu’on recherche aussi, outre une aventure entre 5 potes (même si in fine on
l’a intégralement fait à 2), pouvoir faire des rencontres et échanger. Les
émotions et les sensations sont sincèrement décuplées quand on les partage et
s’ancrent encore plus dans les mémoires.
Du coup
on s’est retrouvé le lendemain à la plage pour un gros et bon apéro et 2 gros
et bons burgers !
Et puis
ça relative toujours notre « exploit ». Le GR20 avec nos variantes c’est
210km, 12 500D+ pour un peu moins de 60h (soit une moyenne par jour de 42
bornes, 2 500D+ en 12h avec les pauses).
Certes
c’est pas mal du tout mais nous avions :
- une assistance de choc, nous permettant d’évoluer léger
- une bonne récupération le soir en arrivant pas trop tard
- une condition météo exceptionnelle (grand soleil, pas de
pluie, pas de grosse chaleur)
- dormir dans des gîtes, aux conditions spartiates, est
toujours mieux qu’à 30 dans un refuge
- faire quelques kilomètres avec nos compères aident
beaucoup mentalement
- bénéficié d’une bonne prépa (PPG, fractionnés => merci
la section, sorties longues mais pas trop, 2 courses de prépa, un gros raid
avec Marc, 2 week-end chocs) pour accumuler les efforts et maintenir la même
allure au fil des jours et des ascensions. C’est toujours pareil : plus la
prépa est dure plus facile est l’objectif !
On a
croisé énormément de randonneurs portant plus de 20kg sur le dos et/ou aux
physiques pas très aguerris, de tout âge, quelques-uns avec les chevilles
strappées (foulures, hématomes…), ce groupe de Lyonnais, des vrais tarés, ont
fait le GR20 tout comme nous en 5j, mais en total autonomie et loin, très très
loin de notre confort ! Ça relativise beaucoup !
5 jours
c’est bien lorsqu’on a qu’une semaine de vacances et profiter de 2j de plages
(avant et après pour nous), c’est largement abordable lorsqu’on suit les
entraînements de la section et surtout les jeudis de la fente (si ce n’est
rajouter le week-end choc, quelques sorties longues ou rando et du gainage). Ça
fait de grosses journées quand même et il faut sacrifier quelques moments de
détentes au bord des rivières...
7 jours
doit être le bon compromis pour prendre plus de temps, profiter des différents
spots, et ce n’est pas trop long en termes de motivation (faut quand même se
lever le matin) et ne requiert « pas trop » d’une très bonne condition
physique.
Toujours
est-il que :
- le lendemain et pendant 3j je n’ai pas vu mes malléoles
tellement mes pieds étaient gonflés
- mes voûtes plantaires à vif mettront 10j à cicatriser
complétement
- nous n’avons pas souffert de courbature (seulement les
jambes lourdes) mais nous sommes bien fatigués
- on a perdu 2kg en 5j malgré les apéros et les digeos
- j’ai coupé 2 semaines et demie sans courir et n’est
ressentie aucun manque ;-)
- je n’ai aucune envie de me mettre dans le rouge aux
entraînements, je récupère plus facilement et prend un gros kiffe en vous
regardant transpirer et haleter !
- on a quelques mois pour définir notre objectif 2018…
Le GR20
est vraiment à faire, que ce soit en rando ou en trail : on peut découper
les étapes en fonction de son rythme, de sa condition physique, de ses envies,
on en prend pleins les yeux, on s’en met pleins les jambes, on fait de belles
rencontres, tout le monde est là pour partager et vivre la même chose !
PS :
certains me l’ont demandé, vous trouverez ci-après notre budget
Un grand merci pour nous avoir fait vivre de l'intérieur cette aventure Bravo et chapeau les gars!!!
RépondreSupprimer