jeudi 15 septembre 2016

l'UTMB selon Samuel

Récit de Samuel Gotto
 
 
"Quand j'ai commencé à courir les sentiers, à crapahuter plus qu’à avaler du bitume, il y a forcément une course que je ne pouvais laisser passer, il s'agit bien sûr de l'UTMB (l’Ultra Trail du Mont-Blanc) !!!

172km et 10250m de D+ !
 


C'est LA course nature de référence, la Mecque du trail comme on a l'habitude de la présenter, un spot hors norme avec le Mont-Blanc en toile de fond, une course internationale avec presque les meilleurs représentants de la discipline au départ : 87 nations différentes, 2 554 coureurs prêts à s'affronter.

 

L’objectif de cette course est une ligne d’environ 6m de large, taillée entre deux poteaux immenses décorés des logos des partenaires de cet événement mythique, que l’on souhaite simplement franchir, avant le classement et le chrono.

Pour cela, il faut réaliser ce tour complet du massif, dépasser ou apprivoiser ses douleurs et ses peurs (peur de l’inconnu, peur de la fatigue, peur du manque de sommeil, peur de craquer…).

 
Cette ligne est prise d’assaut par un nombre incroyable de personnes venues vous encourager, vous féliciter et qui vous offrent des sensations juste uniques !
Cette année, c'est mon tour après avoir été recalé au tirage au sort en 2014 et 2015...




 

 

 

 
 

Ma préparation a été sérieuse et régulière tout au long de l'année avec quelques belles courses au programme (un raid de nuit de 53km, les 50km de l’Ecotrail, les 36km de l’Ardéchois, les 40km de Bonnelles, les 85km du trail de la Vallée des lacs à Gérardmer, et 2 cyclos VTT).

Afin de multiplier les séances d’entraînements sans que cela me porte préjudice (traumatisme musculaire, manque d’envie, overdose), je me suis fendu d’1 à 2 séances de natation par semaine, une sortie vélo en plus des 2 entraînements avec la section et la sortie longue du week-end.

Le tout de façon crescendo :
-              le 1er trimestre est rythmé par 3 à 4 entraînements (2 séances de CAP, 1 séance de  piscine et 1 de vélo)
-              le 2nd trimestre c’est 4 à 5 séances (je rajoute soit une sortie piscine soit CAP)
-              et le dernier trimestre c’est 5 à 7 séances par semaine (avec 2 jours à 2 séances essentiellement en vacances mais également modulé par l’agenda famille…).

 Le but du jeu est d’engranger confiance, endurance et résistance musculaire sans se blesser et tomber dans le surentraînement.

 A 1 mois du départ, je commence à apprendre par cœur le parcours et son profil (distances, inter-distances, dénivelés, ravito) et je projette mes estimations de temps de passage.

J’aurai la chance d’être assisté tout au long du parcours par mon ami Benoît qui a la valeur ajoutée de bien me connaître mais aussi de l’avoir fini en 2015. Je bénéficie donc de ses documents.
Néanmoins, plus je peaufine mes estimations et les temps de passage plus je stresse. Je laisse tomber et décide de me caler sur ses temps (finisher en 38h34) avec pour objectif officiel de finir en - 40h (la limite est 46h…).

 Nous débarquons à 3 à Chamonix la veille du départ (mon assistant Benoît et Antoine un ami participant logeons aux Houches).

 
 
La météo est exceptionnelle, le grand beau temps s'est durablement installé, et j'en suis ravi, c'est déjà bien assez dur de parcourir 170km en montagne sans avoir besoin de conditions climatiques pourries.

L'organisation nous met tout de même en garde contre les risques de déshydratation sévère et porte la contenance d’eau obligatoire de 1,5l à 2l. Les températures seront très élevées durant tout le week-end (plus de 32°C à 1 500m).

 
Le retrait du dossard se fait dans les meilleures conditions : pas grand monde, la queue est fluide et je présente bien tout mon matériel obligatoire !

 On se couche tôt (22h30) avec la joie de pouvoir faire une grasse matinée sans être réveillé par les enfants mais à 8h tout le monde est debout…
On fait les sacs, on prépare les vêtements et matériel de change.
On refait les sacs, on modifie les vêtements et matériel de change.
On vérifie et revérifie.
Bref, on s’occupe comme on peut et le tout sans trop stresser, du moins c’est qu’on laisse transparaître.
On se recouche pour une dernière sieste mais impossible de dormir…
Du coup, on revérifie les sacs !

 
 Vendredi 17h15 on se rend sur la ligne de départ située au pied de l’église, plein centre.

Les rues de Chamonix sont bondées de coureurs, de leurs familles et amis, bref c’est noir de monde. Seuls les coureurs ont des mines graves, on aperçoit quelques sourires forcés mais on ressent le stress chez tout le monde.

 




LE COUP DE STRESS DU DEPART…

 17h55, lancement de l’hymne de l’UTMB avec Conquest of Paradise de Vangélis (c’est assez prenant et j’ai du mal à réaliser que je suis en train de le vivre pour de vrai…).

18h le départ est donné : nous partons en fin de peloton et nous tentons de nous frayer un chemin dans les rues de Chamonix. Le nombre de spectateurs est hallucinant et je ne sais comment Agnieszka a pu me voir et me jeter un dernier encouragementJ.

 
Il nous faudra plus de 10’ pour commencer à trottiner.

Un point de côté s’installe, suivi d’une pointe derrière l’épaule et me voilà avec une boule au ventre ! Je cours de travers, je stresse, et mes pensées négatives (qu’est-ce que je fais là ? Dans quoi je me suis embarqué ? Est-ce que je vais le finir ? Me suis-je bien préparé ? Je pars pour 2j…) autoalimente ma condition et ce sur 8km jusqu’au Houches où se dresse enfin la 1ère côte !

Bref, ce n’est pas gagné.

 

Le fait de marcher me calme, on évolue sur une piste assez large, il y a de la place pour tout le monde. Tout rentre dans l’ordre !

Il fait très chaud mais cela ne m’impacte pas trop.

St Gervais km21, 3h17 de course et 1 951ème

Enormément de monde dans le centre-ville, c'est génial, on nous acclame de toute part.

Je retrouve mon assistant et nous attendons Antoine le 3ème larron à quelques centaines de mètres derrière. Nous avions décidé de faire la route ensemble jusqu’aux Contamines.
C'est aussi le 1er ravitaillement, je commence à m’alimenter avec la soupe aux vermicelles, du saucisson, du fromage et des tucs.

 

 

LES CHOSES SERIEUSES COMMENCENT...


Les Contamines km31, 5h04 de course, 1 661ème

On prend les mêmes et on recommence, ce ravitaillement est aussi bondé que le précédent, c'est la fête au village, du monde partout !

Même rituel d’alimentation mais avec 2 verres de coca en guise d’apéro (il fait encore très chaud).
Notre Dame de la Gorge, les choses sérieuses commencent, on attaque la montée vers le Col du Bonhomme.

Nous sommes partis depuis seulement 5h mais quelques coureurs mettent déjà le clignotant pour se reposer un peu à l’instar d’Antoine qui souffre de la chaleur...

Ambiance de folie au pied de la montagne avec un immense feu « de joie » et un peu plus loin un DJ et sa sono, ses spots, c’est surréaliste.

Néanmoins, je m’inquiète un peu car je ne suis pas sur mon timing prévu, j’ai 45’ de retard et je n’arrive pas à décoller des barrières horaires malgré mon rythme et le fait de grappiller des places dans le classement.

 Col du Bonhomme km45, 8h21 de course, 1 264ème

L’ascension est vraiment géniale : une longue montée, régulière, les uns derrière les autres. Ce qui me surprend c’est que personne ne se parle, tout le monde est dans sa bulle. J’entame « 1km à pied ça use… » mais je fais un bide total, je n’insiste pas !

Je continue à gérer mon effort (même si je suis en retard sur mes estimations), évitant de trop forcer sur une montée de marche ou en limitant les trop grosses enjambées, la route est encore longue.

 


Je me retourne régulièrement pour admirer la beauté de ce serpentin de frontales montant depuis la vallée, j’ai beau en avoir vécu de nombreux, je ne m’en lasse pas !

 
En haut du col, il fait toujours chaud mais nous sommes pas mal exposés au vent. La plupart des coureurs mettent leur k-way, je décide de rester en manche courte et d’attendre le prochain ravito pour enfiler simplement un coupe-vent.

 

Les Chapieux km50, 9h07 de course, 1 200ème

C’est un petit hameau perdu formé de 3 granges au fin fond d’une vallée. Je retrouve Benoît mon assistant qui me dit que la route en voiture est superbe, qu’il faut absolument revenir la faire en vélo mais c’est bien galère (il aura mis 2h30 pour faire 60km).

Je me ravitaille, enfile mon coupe-vent Natixis et roule ma poule pour l’ascension du col de la Seigne.
Benoît attend Antoine qui a dû s’arrêter 2 fois pour dormir suite à la chaleur (et ce n’est pas le seul).



 Mais avant de sortir du ravito, je me fais contrôler. Le bénévole me demande de lui montrer mon téléphone chargé, mon k-way et ma 2ème frontale.

 Le début est une longue rampe de lancement en bitume de 3km, j’alterne au feeling la course et la marche forcée.

Je fais une croix sur le chrono et mon objectif de faire -40h. Je suis davantage sur une base de 42h, l’essentiel est de finir et d’en garder sous le pied jusqu’au col Ferret (ma plus grosse appréhension…).

 Le col de la Seigne km60, 11h44 de course, 1 107ème

Au sommet, je suis bien content d’avoir mis mon coupe-vent, ça souffle pas mal et il serait dommage d’attraper un coup de froid.
On devine sous les nuages le lac Combal, déjà de nuit ça a l’air très joli.
On descend quelques dizaines de minutes pour mieux monter au col des Pyramides Calcaires. Comme son nom l’indique, fini le petit chemin tranquille, on attaque la pierraille et c’est raide.

Je vois le haut du col avec la Sécurité Civile et des cabines transparentes genre cabine téléphonique dans lesquelles des coureurs ont trouvé refuge pour se reposer.
Une fois le versant passé, on surplombe le lac Combal en plein lever du soleil : MAGIQUE (mon 2ème meilleur souvenir).

 


La descente n’est pas facile : ce n'est qu'un vaste pierrier où le rendement est extrêmement limité et où il faut se concentrer sur la pose des pieds afin d’éviter la blessure.

Lac Combal km67, 13h15 de course, 1 064ème

 


 Je me pose 15’ au ravito : thé sucré, petite part de tarte à la myrtille (cadeau des bénévoles italiennes…). Je repars en longeant le lac, je marche histoire de digérer tranquillement et vision surréaliste : je croise 2 personnes en combinaison de plongée. Je ne cherche pas à comprendre et repart en courant (mais ce n’était pas une hallucination suite au manque de sommeil…).

 
 
J’amorce l’arrête du Mont-Favre. Je ne me sens pas top, un peu fatigué : bref un coup de mou.
Aussitôt je lis quelque sms d’encouragements (Benoît J., Fabienne, Stéphane, Bruno merci !) et j’ai même un fan club !
 
J’enfile mes écouteurs et j’accroche 2 gars sans bâtons qui mènent bonne allure. On commence à discuter (pour la 1ère fois depuis le début de la course), ça fait du bien de parler à des gens et du coup ça va mieux.

 Arrête du Mont-Favre km71, 14h25 de course, 995ème

Enfin que de la descente, des pistes de ski larges et régulières, jusqu’à Courmayeur.
Je file sans m’arrêter au col Chécrouit, avec en tête le bonheur et l’impatience de retrouver Benoît, de faire une bonne pause avec au programme pâtes bolo, massage et petit somme.

 Entrée de Courmayeur km80, 15h41 de course, 885ème

C’est la guerre dans la zone d’assistance : on ne laisse rentrer les assistants que si leur coureur est arrivé (je l’ai attendu 10’) et on ne peut être avec eux que dans le hall du gymnase.
Du coup c’est le bazar : des coureurs à poil qui se changent, des assistants qui brassent, les affaires se mélangent, pas top. D’autant plus que l’assistant n’a pas le droit de nous accompagner et monter manger avec nous ??!!! Je lui file ma montre pour qu’il la recharge avec son accu et je fais de même avec mon portable.

 



Je file chez les kinés pour un petit massage et tombe sur 2 kinés qui me prennent en charge. J’avais espoir de me laisser aller pendant le massage et de m’endormir mais elles n’arrêtent pas de me parler… Tant pis !
J’interpelle un podologue pour soigner une grosse ampoule à l’arrière du pied et une petite sur un orteil. En 10’ c’est fait, mais les soins piquent gravent…
Je prends un bon déjeuner : coca, vermicelle, pâtes bolo, charcuterie, fromage, thé sucré et Pom’pote pour la route.
Après 1h20 de pause, je retrouve Benoît dehors et lui dit que je n’ai pas dormi mais que je n’en ai pas trop envie non plus : « bon bah file alors ! »


FIN DU 1er ROUND !

 Sortie de Courmayeur km80, 17h02 de course, 1 071ème

Je reprends la route en sa compagnie sur 2km, on traverse tranquillement les rues et ruelles transalpines. Même si je suis un peu perdu et que je me pose quelques questions quant à mon timing, il me rassure. C’est vraiment agréable de marcher avec lui.
D’autant plus que pour mon autre ami Antoine les barrières horaires se rapprochent…
La chaleur se fait se sentir et j’ai hâte d’évoluer en sous-bois même si ça grimpe pas mal pour arriver au refuge Bertone.

 DEBUT D’UNE LONGUE JOURNEE…

Refuge Bertone km85, 18h28 de course, 979ème

Je profite du ravito quelques minutes pour recharger et engloutir quelques verres de coca car dès que ça monte j’explose ma consommation d’eau.
A partir de ce refuge, je connais bien le parcours puisqu'il est identique à la CCC (Courmayeur Champex Chamonix) que j'ai fait en 2013, cela me permet de me projeter sur les prochaines difficultés comme le grand Col Ferret après Arnuva.
Mais pour le moment, rien à signaler, on emprunte un magnifique sentier en balcon le long d'une vallée en faux plat mais exposé au soleil. Superbe panorama sur le Mont Blanc et tous ces torrents qui dégringolent de la montagne.
C’est un peu long mais j’arrive à mettre du rythme et les kilomètres défilent. De plus, je ressens réellement les bénéfices du massage de Courmayeur.
On croise pas mal de randonneurs qui nous encouragent.

 Arnuva km97, 20h43 de course, 832ème

10’ de pause, avec toujours le même rituel : 2 verres de coca, vermicelle, saucisson, fromage et tucs.

Même si je n’ai pas envie et ne ressens pas le besoin de dormir, je décide de quitter le ravito pour m’allonger 20’ un peu plus loin, à l’ombre, avant d’attaquer le Grand Col Ferret qui me fait réellement peur.


C’est 5km de côte, assez raide, irrégulière mais surtout exposé en plein soleil et il est samedi 14h.
Je mets une alarme de 20’, je préviens mon assistant et m’allonge les pieds en l’air. Je ne saurais dire si je me suis endormi (au maximum et peut-être 2 micro-siestes de 30 secondes).

Finalement au bout de 15’, je repars.

J’amorce tranquillement la côte, sachant qu’on part pour 17km sans ravitaillement.
Je commence à « psychoter » : est-ce que j’aurais assez d’eau ? Ne va pas trop vite ? Economise ton eau…
Je renfile mes écouteurs et met les Guns n’ roses et Scorpion (du bon rock), je me colle littéralement à un jeune qui semble bien aller et décide de ne regarder seulement qu’à la fin de chaque chanson où je me situe par rapport au sommet (que l’on voit depuis le bas, c’est déprimant…).

On croise énormément de randonneurs, de VTTistes, je trébuche même sur une coureuse qui s’est allongée dans l’ornière pour se reposer, incroyable !

J’ai l’impression d’avoir la nausée, de nouveau mal au ventre. Oups !
Surtout ne pas craquer et ne pas s’arrêter dans la côte, boire par petites gorgées même si je serai capable de boire 3l d’eau d’une traite.

Je me mets en tête de ne ralentir qu’au sommet, pas avant et je recolle ma tête dans les fesses du jeune.

Fin de la chanson, je lève la tête et aperçoit le col à 200m et de plus : 200m de faux plat. LE soulagement !

 
Grand Col Ferret km102, 22h34 de course, 825ème

Une bénévole me pointe tandis qu’un autre me félicite et me demande si ça va ? Un « oui, merci » sort difficilement de ma bouche, j’ai la gorge nouée et une larme s’échappe ??!!!

« Vous êtes tout blanc, t’es sûr ça va ? »

« Oui, oui », dis-je en sanglotant. Je suis en train de craquer. Le fait d’avoir surmonter ce col Ferret me fait vivre une décharge émotionnelle !
« Allez viens je t’accompagne un peu dans la descente… » me dit le bénévole.
On court ensemble, à bon rythme, et en plus il ne cesse de me parler, de me féliciter avec une telle sincérité et franchise, qu’après avoir lutté 2h dans la côte, je lutte pour ne pas pleurer et l’embrasser mais je me refuse à me laisser aller dès le 100ème kilomètre, il en reste 72…
J’ai vécu et ressenti quelque chose d’exceptionnel sur ces 4 kilomètres et je suis très content d’avoir couru et partagé avec cet ange !

 
2ème NUIT, EN MODE MISSION

La fouly km112, 24h04 de course, 785ème

Je retrouve mon assistant, et refait le plein au ravito ! Je lui raconte ce que je viens de vivre durant ces 17 derniers kilomètres, je crois que je suis encore sous le choc.

 
Du coup et de façon naturelle, il prend le lead psychologiquement et me demande de m’allonger un peu plus loin, à l’ombre.

J’en profite pour recharger montre et portable. Je m’endors en quelques secondes pour me réveiller aussi sec 15’ plus tard ! Je ne sais pas si cela m’a fait du bien mais c’est toujours ça de pris pour la nuit !

J’ai un super souvenir de la portion à venir. Pendant plusieurs kilomètres, on longe à bonne distance la route. Ce côté de la Suisse est magnifique, des villages aux chalets (à mon avis hors de prix, ils doivent tous bosser chez Rolex), comme à Praz de Fort, l'atmosphère y très zen et pour une fois il n’y a pas trop de coureurs.

 


 
Mon assistant me fait la surprise de m’y retrouver et on court ensemble sur 3km, soleil couchant, c’est top (mon meilleur souvenir) !

Dernières instructions de mon assistant : le D+, la distance et l’estimation du temps avant de se revoir.
J’attaque la côte qui mène à Champex le lac, dernier gros ravito.
Pour la 2ème fois depuis le début j’évolue avec un gars sympa et on échange.
Seulement voilà qu’un orage se prépare, ça tonne de plus en plus près et les éclairs sont impressionnants.

Mon compagnon de fortune fait une fixette sur l’orage et m’ordonne plusieurs fois de jeter les bâtons, de m’arrêter afin de ne pas attirer la foudre !

Il se change entièrement avant que la pluie n’arrive, je préfère rejoindre le ravito pour me changer qui devrait être à 2km soit une vingtaine de minutes…

Finalement il commence à bien pleuvoir, mon acolyte m’impose le k-way, de prendre des distances avec les autres coureurs… Bref cela me semble interminable mais je m’exécute n’ayant que peu de notion des risques d’orage en montagne.

Champex le Lac km126, 27h15 de course, 757ème

 
C’est l’effervescence au ravito entre ceux qui se changent entièrement, ceux qui se posent des questions sur le change (comme moi), ceux qui veulent attendre que l’orage passe… C’est qu’il nous reste 3 cols à 2 000m d’altitude, en pleine nuit et sous la flotte !

Je suis un peu surpris car nous n’avons aucune information de la part de l’organisation sur l’évolution de l’orage.

Plus tard j’apprendrai qu’ils ont arrêté momentanément certains coureurs pour cause de grêle.

J’apprends également que mon ami Antoine s’est fait arrêter à Arnuva pour 7’ de retard à la barrière horaire. Je suis dégoûté pour lui.

Mon assistant, ou devrais-je dire maintenant mon instructeur ne me laisse pas trop le temps de cogiter et je repars simplement en enfilant un k-way.

« Tu ne devrais pas avoir froid là-haut, ça grimpe bien et tu vas produire un bon effort ! Au pire t’as ton bas de k-way et ta seconde couche dans ton sac. C’est parti pour 15 bornes et 850D+, check ta montre, on se revoit dans 5h max… Biz… ».
« OK ! » et je repars sous une pluie battante.

 Je tremble de froid durant 10’ mais effectivement ça va mieux après.

J’ai de bonnes sensations, les jambes vont bien et j’envoie avec Jean-Jacques Goldman.

Il y a les minimalistes comme moi : simplement en k-way et les autres avec seulement le bout du nez qui dépasse, c’est marrant.

La côte est horrible, on remonte un torrent, on ne sait pas sur quoi reposent nos pieds : racine, pierre, grenouille… ?

La bonne nouvelle c’est que le col dépassé il ne pleut plus (j’ai quand même essuyé 5h d’orage), la mauvaise nouvelle c’est que je sens le strap de mon ampoule au pied qui s’est détaché avec la pluie et se ballade…

Trient km142, 31h10 de course, 570ème

C’est Antoine qui me retrouve à quelques centaines de mètres du ravito. Chemin faisant il m’explique sa situation et la galère en bus pour me rejoindre à Trient.
Je suis trop content de le voir et c’est super sympa de sa part de me suivre sur la fin !
 
Me voilà entouré de mon instructeur et d’Antoine, et ils sont aux petits soins avec moi.

Comme d’habitude j’avale ma soupe, mes saucissons, mon fromage et mes tucs et direction le podologue pour mon ampoule. J’y reste 15’ car j’ai les pieds dans un sale état : ils sont tout fripés avec la pluie, l’ampoule s’est reformée et j’en 2 autres dont une crevasse qui me fait mal.

 Benoît : « bon allez go, c’est reparti pour 10 bornes, 850D+, t’inquiètes c’est une côte comme t’aime mais la descente est raide. Check ta montre, ouvre ton k-way, et tu le refermes dans la descente. On se retrouve dans 4h max… Biz… ».

« OK ! », je repars avec eux, je suis frigorifié mais je me force à courir pour me réchauffer.

Finalement, il fait bon, ni trop chaud, ni trop froid. Je suis pas mal. Tout se passe comme Benoît me l’a dit !

Même si l’orage m’a fait un peu flipper, que je me suis arrêté 2 fois chez le podo, je n’ai pas froid, les cuisses répondent bien, Benoît a su gérer et anticiper mes appréhensions.

Cette 2ème nuit se passe mieux que prévu. Du coup je mets Dire Straits (album live, de longues chansons, rythmées par les solos de guitares : le pied…).

 Vallorcine km152, 34h12 de course, 498ème

Nous revoilà tous les 3 autour d’une bonne vermicelle !

Je vais chez le podo car ma crevasse me fait mal et je ne suis pas à 10’ près.

 



J’aurais pu m’en passer mais la dernière côte est un mur qu’on franchit limite sur la pointe des pieds et je n’ai pas envie d’appréhender chaque pas. D’autant plus que depuis le début j’attends avec impatience le col des Montets : c’est court, raide et ce n’est que des marches ou des pitons dans la roche.
C’est la dernière et j’ai envie de tout mettre.
Je repars pour 4km de faux plat montant, ou j’alterne course et marche.

 

 
Au pied du col je retrouve Benoît et Antoine !
On discute et ils m’informent qu’il me reste 6h pour faire moins 20 kilomètres et passer sous les 40h !
Cela faisait une éternité que je n’avais pas regardé le chrono. Depuis Courmayeur je regardais seulement l’altitude et le dénivelé…
Cool, je suis content !

 Pour la dernière côte j’écoute Jean-Patrick Capdevielle (pour les connaisseurs, c’est Ma madeleine de Proust).

Comme prévu, c’est raide, comme prévu j’envoie (mais pas aussi vite que je l’avais imaginé).

Arrivé en haut, c’est le lever du soleil sur le Mont-Blanc. Beaucoup de coureurs en profitent, se posent, prennent des photos.

 


 On lit sur les visages des coureurs un certain soulagement et même quelques sourires !

Pas besoin d’échanger, pas besoin de parler, les regards sont complices : arrivé là on sait qu’on va le finir, on va être finisher…

La Tête aux Vents km160, 36h46 de course, 454ème

C’était le dernier col, le dernier 2 000m !

Il ne reste que 3 bornes de plat et 7 kilomètres de descentes.

C’est seulement là que je me projette sur les 38h34 de Benoît, ça serait énorme de faire le même chrono que lui sachant que l’année dernière c’était sa 1ère course sans moi et cette année ma 1ère course sans lui (bien qu’il soit mon assistant…).

La Flégère km164, 37h26 de course, 439ème

Dernier check point et ravito à la Flégère.

Je pointe et trace direct, je commence à en avoir marre d’autant plus que la descente est vraiment cassante et technique au début avec énormément de racines et de marches. J’avoue que je craque un peu mais je me force à courir tout du long.

J’ai l’impression qu’on me double plus que je ne double mais je m’en fiche je sais que je vais le faire !

Cette descente est interminable, je n’arrive plus à prendre du plaisir. J’en ai marre !
 
Enfin Chamonix, enfin mes 2 amis qui courent ce dernier kilomètre avec moi.

Les chameaux mettent une allure d’enfer, j’ai l’impression d’être à 15km/h (mais sur la vidéo je suis beaucoup plus lent…) !

 



La ville est réveillée et grouille déjà de supporters, de badauds qui encouragent qui vous transportent littéralement à l’arrivée, impressionnant !

Et voilà, Chamonix km170, 38h24 de course, 415ème

Je franchis la ligne d’arrivée dans un état bizarre : physiquement je suis bien, je n’ai mal nulle part mais je n’arrive pas à me lâcher émotionnellement…

Du coup, j’en ai oublié le chrono et aurait aimé attendre 10’ pour faire les 38h34’ ! Benoît me regarde avec yeux de merlans frits !
 
Comme je sais que ma femme me voit via la caméra, je l’appelle.

Elle me félicite chaudement mais m’interdit de pleurer pour une course dans la mesure où je n’ai pas pleuré à la naissance de mes 2 garçons !

J’aurais peut-être dû l’appeler au Grand Col Ferret ;-)

 Je récupère ma veste de finisher (no comment…) et tombe dans les bras de Benoît et d’Antoine.

On passe à la Boulangerie, on rentre à l’appart : café, pain aux chocolats, Nutella et on s’endort 3 heures.

On retourne à Chamonix dans l’après-midi pour encourager les derniers arrivants tout en savourant de bonnes bières.

C’est noir de monde, les encouragements et félicitations fusent de toutes parts…



Avec un minimum de recul, je ne vais pas dire que c’est une course facile mais pour la rendre moins difficile, prendre vraiment du plaisir et maximiser la course à pied et limiter le mode « randonnée » la préparation est fondamentale.

Ce n’est qu’une fois fini que je constate et réalise :

-              que j’ai eu la chance de ne pas m’être blessé,

-              que ma préparation a été dure et longue. Mais cela n’a été que bénéfique pendant la course. Je ne compte pas les séances sous la pluie, les séances aux seuils (je déteste), les séances à faire alors que je n’ai vraiment aucune envie de sortir, les courses de prépa avec des objectifs comme courir seul, de ne pas courir en musique, bien relancer, se mettre dans la rouge…, les séances à toute heure et essentiellement celles du week-end pendant la sieste des petits…

-              la chance également d’avoir la section où l’émulation de groupe permet, sans se rendre compte, d’en faire plus et plus vite, et de faire des exercices que je n’aurai jamais imaginés, ni réalisés seul !

-              que j’ai bien fait de ne pas négliger et même de prioriser le renforcement musculaire et le gainage. Pas seulement pour la plage (même si ça le fait J ) mais surtout pas une seule fois je n’ai eu mal ni aux cuisses, ni aux fesses, ni au dos. Cela permet de courir plus longtemps, de monter et descendre plus vite, c’est indéniable !

-              qu’un assistant qui vous connaît bien est un énorme facteur de réussite, surtout pour les gens comme moi qui n’ont pas un gros mental.

Je ne sais pas si j’ai correctement géré ma course, j’ai simplement reproduit mes efforts  d’entraînements.

Je suis vraiment surpris de m’être laisser submergé par des pensées négatives et de l’angoisse par 2 fois ce qui n’a fait qu’alimenter mon stress…

A ce jour, je ne peux dire si j’ai envie de le refaire mais je suis sûr de n’avoir pas envie de me relancer dans une telle préparation !

Concernant l’organisation et tout ce que l’on peut dire et entendre comme critique sur son prix (220€ l’inscription) et les modalités d’inscription (système de points + tirage au sort), je vous confirme que ce n’est pas si cher au regard de tout le confort mis à disposition.

On ne manque de rien : tous les ravitos sont variés et en abondance, des bénévoles de partout, un staff médical impressionnant et répartit sur tout le parcours (kinés, podo…), rien à dire sur le balisage, il y a des check points à chaque début d’ascension, au sommet et en bas (pour ceux qui aiment les stats), le suivi live, des caméras pour des images en direct à tous les ravitos, et le gilet finisher…


Bref,  Chamonix est un point de passage obligatoire pour tout trailer (il y a 5 épreuves allant de 50 à 300km…) et c’est vraiment une expérience unique.

« Je dis ça… Je ne dis rien… »

Le retour en voiture (après avoir récupéré mes 2 petits) a été un peu rude pour mes jambes. Je n’ai pas souffert de courbatures les jours qui ont suivi mais d’une grosse fatigue pendant 10j (dont 1 fois le soir où je me suis même endormi à table !).

 




Merci à tous pour vos félicitations et messages !!!!!!"

6 commentaires:

  1. magnifique récit...toutes mes félicitations

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  2. superbe récit , ca donne envie, merci de nous avoir fait vibrer en le lisant ..t'es un vrai ultra-trailer maintenant, bravo!

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  3. Merci pour ce récit !! Félicitations !!

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  4. Merci Samuel pour ce reportage qui pourrait donner envie d'y aller mais à mon âge ...mdr
    Je l'ai même relu avec un peu d'émotion
    Chapeau bas mon cher Samuel
    A bientôt
    Maurice le jeune retraité

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  5. Très beau récit mais qui ne me motive pas énormément...trop de souffrance.
    Bravo pour l'exploit.
    On le voit quand ce maillot Finisher ?
    Nicolas

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  6. Y tout dans ton récit: les émotions, la dureté et la beauté de la course et l'esprit de lutte et de solidarité !!! Chapeau bas MONSIEUR !!!
    Marc F

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