mardi 13 novembre 2018

Trail de Plaintel

Récit de notre Monsieur Joëlette : Eric


Il était une fois Natacha, jeune fille de 14 ans belle, intelligente et myopathe. Elle est prisonnière de son petit corps qui se recroqueville chaque jour un peu plus. Ces mains sont deux petites serres qui s’accrochent avec une volonté farouche à son fauteuil car son esprit est, au contraire de son corps qui la trahit, d’une force peu commune. Elle est persuadée qu’un jour un traitement lui permettra de guérir. En attendant, elle attend et voyage par internet interposé hors des quatre murs de sa maison. Un jour, alors que son père et moi courons comme souvent en silence, c’est un homme de peu de mots, il me lâche une phrase dithyrambique ; « mon rêve c’est de pouvoir courir un jour avec ma fille » Voilà ça c’est dit ! je prends ça en pleine poire et ne sais pas quoi répondre à part une stupide banalité du genre : « bah oui ce serait formidable »

Quelque temps plus tard, un reportage sur France 3 me permet d’être un peu plus prolixe. Il s’agit d’un père dont le fils Joël est handicapé moteur qui a inventé une chaise à porteur avec une roue centrale, la joëlette, pour pouvoir emmener son fils faire de la randonnée…

J’appelle Marco, le père de Natacha, lui raconte, on appelle Monsieur Joëlette et quelques mois plus tard on reçoit notre première joëlette. On court avec Natacha partout dans les rues, dans les bois, les gens intrigués nous prennent pour des dingos. Natacha s’éclate, elle crie, chante, nous demande d’aller encore et toujours plus vite, plus loin.

Nous sommes en 2002, GRAND LARGE est né car on ne peut pas garder ce nouveau et magnifique concept pour nous tout seul. D’autant que la joëlette fait des émules, dans le 92 une autre association du même style voit le jour également. Rapidement on participe à des compétitions sur route. Natacha court le semi de Paris puis le marathon de Paris, de Vannes. On va remonter la vallée du Nil en se greffant à une course à étapes de 5 jours avec des athlètes de haut niveau. Natacha est ravie, elle exulte et nous, nous sommes fiers comme Artaban. Puis viennent d’autre courses, en Corse, en Thaïlande, au Laos, au Vietnam avec Natacha puis d’autres jeunes handis avec qui nous partageons des moments de bonheur intenses. Le championnat du monde de joëlette se crée et GRAND LARGE arrive à aligner une année 5 joëlettes parmi la cinquantaine provenant de plusieurs pays…

Il était une fois Gwenaëlle, sa maman nous prévient ; « ne vous inquiétez pas, Gwenaëlle ne communique pas mais moi je sais qu’elle est contente et qu’elle aime beaucoup faire de la joëlette. » Puis lors d’une course à Achères un beau jour ensoleillé de mai, nous passons la ligne d’arrivée avec une Gwenaëlle qui lève les pouces en souriant. C’est juste incroyable, sa mère pleure, Monsieur le maire nous fait monter sur le podium et là encore Gwenaëlle redresse à nouveau ses pouces, c’est la totale, monsieur le maire ne sait plus quoi dire, un silence assourdissant passe puis tout le monde applaudit à tout rompre tandis que toute l’équipe et les gens autour essaient de cacher des larmes derrière leur lunettes de soleil, mon petit cœur explose houlàlà c’est trop fort…

Il était une fois Philippe, autiste mais qui était tellement excité lorsque nous n’allions pas assez vite pour lui en joëlette, qu’il essayait de descendre pour nous aider à pousser. Parfois les ailes des anges sont trop à l’étroit repliées derrière le dos, alors elles s’ouvrent et l’ange s’envole… ailleurs…

Il était une fois Victor, lui c’est le plus jeune et peut-être le plus touchant tellement sa joie est communicative. Jamais fatigué, pourtant les courses en joëlettes ne sont pas juste passives pour les jeunes handis mais Victor n’est jamais rassasié, il est toujours partant, c’est le petit moteur de GRAND LARGE, tant que la ligne d’arrivée n’est pas franchie il nous pousse à toujours aller au bout de nous même…

Il était une fois Ewen et Enzo à Plaintel, le dimanche 11/11/2018. Le village natal de Maurice organise un trail Breton, c’est-à-dire qu’il fait beau plusieurs fois par course…

Depuis plusieurs années, Maurice se débrouille pour faire venir plusieurs coureurs de l’US participer à cet événement au profit de l’association Camille & Lucas qui lutte en faveur de la recherche contre les maladies génétiques rares. Et depuis deux ans l’US aligne une équipe pour emmener 2 jeunes handis de Plaintel en joëlette sur le parcours de 12km. Bien allez GOGOGO Maurice on y va cette année encore donc…

J’avoue que je suis un peu fébrile et c’est un euphémisme, je n’ai pas dormi de la nuit, car même si je connais la valeur des guerriers-coureurs qui m’accompagnent, nous ne sommes que 5 à se relayer sur un terrain gras et accidenté et 2 sur les 5 sont novices sur la conduite de l’engin qui pèse quelques 20kg.

Mes doutes seront rapidement dissipés. C’est un vrai plaisir partagé par tous de s’aligner au départ à 10h00 sous un temps plutôt clément pour la saison. Lionel, Marc, Cyril, Jean-Luc et moi-même sommes heureux d’accueillir Ewen que nous allons emmener sur les 6 premiers km pour qu’ensuite, au ravitaillement, Enzo prenne le relais d’Ewen… Anne, Sophie et Maurice vont faire les serres files avec Brio (ne me demandez pas si c’est le nom du vrai serre file svp)

Nous partons 2’ avant le départ réel de la course ce qui donne l’occasion au flot de coureurs, qui a tôt fait de nous dépasser, de nous encourager de belle façon pour le plus grand plaisir d’Ewen mais aussi des 5 autres.

Ewen découvre la joëlette et avec une timidité touchante nous dira au ravito qu’il a beaucoup aimé même s’il est très fatigué. Il faut savoir que toutes les personnes qui font de la joëlette sont à chaque fois au moins aussi fatiguées que les coureurs qui les accompagnent. Enzo quant à lui à déjà participé avec nous l’année dernière et il s’exprime de façon plutôt véhémente, il nous flatte l’encolure comme un jockey ferait avec sa monture à grands coups de ALLEZ ALLEZ. Bon peut-être que le fait que Marc hennisse de façon très réaliste y est aussi pour quelque chose…

La seconde partie pourtant plus roulante nous obligera à s’arrêter plusieurs fois pour réparation du cale pied que la tonicité D’Enzo et les différents aléas du terrain auront mis à mal.

Le final se fait juste au moment même où une énorme averse tente de nous rattraper mais voilà : ça c’est fait et bien fait, nous sommes tous heureux radieux contents fiers…

Le podium sera l’occasion pour Maurice d’y aller de son petit discours non sans que ses yeux soient légèrement embués et sa voix quelque peu voilée, par une poussière sans doute.

Je vous joins une photo très représentative (ou presque) de notre week-end. Bizàtous,


Eric.

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